“Je ne rencontre nulle part ailleurs la dynamique des forces aussi clairement que lorsque je suis en chemin dans la nature.
Articles de Reto Bühler
Traduction de Romaine Bovier
Dehors, je suis en contact direct avec ces différentes énergies. Sans toit protecteur, sans murs épais, sans portes ni fenêtres, je me sens exposé à la vie, je dois la laisser m’atteindre. La naissance et la mort se présentent à moi à chaque pas. La vie naissante vient à ma rencontre dans la fleur qui tend pour la première fois son visage vers le soleil. Je vois la mort dans la feuille d’automne qui change de couleur et lâche la branche qui la porte … pour devenir quelques mois plus tard la base d’une nouvelle vie.
Sous nos latitudes, les saisons mettent en scène de manière impressionnante ce spectacle des dynamiques de la vie. Leur rythme est un merveilleux exemple du devenir et de la disparition qui sont à la base de la vie. C’est un processus unique d’allées et venues, de croissance, de prospérité, de flétrissement et d’adieu. Dans la nature, je prends conscience que tout est en mouvement et que la transformation est le principe de base de la vie.
Ce jeu de forces s’exprime dans de nombreuses polarités. Le jour et la nuit, le soleil et l’ombre sont deux exemples que l’on peut ressentir de manière forte.
Mais la dynamique de la vie ne se manifeste pas seulement dans le spectacle de la nature, elle s’exprime aussi à l’intérieur de soi. Le bonheur et la souffrance, la joie et la douleur font également partie de la danse de la vie.
Le couple de termes chinois Yin et Yang représente ces forces polaires opposées et pourtant liées l’une à l’autre. La vision du monde du taoïsme tente d’expliquer que ces forces ou principes duels ne se combattent pas, mais se complètent. Selon l’enseignement du taoïsme, les hommes doivent observer le cours du monde. Cela leur permettra de connaître les lois et les manifestations du principe du monde. Le dao correspond aux principes d’action et de création que je désigne dans cet article par “le jeu des forces”.
Même si tout cela peut paraître simple et compréhensible, cela me semble très profond. La clarification (aufklärung), la tête, le rationnel et la raison ont du mal à gérer certaines tensions de la vie. Ce jeu mouvementé est vécu par l’humain, sous de nombreux aspects, comme une grande déchirure et des contradictions inconciliables. La relation entre les différentes énergies n’est pas toujours facile à accepter dans toute sa tension. Le fait d’être tenu et porté dans ce jeu ne se révèle souvent qu’avec un peu de distance et d’ouverture.
Notre humanité – y compris notre fragilité, notre mortalité, notre finitude, nos besoins et donc notre anxiété – est souvent dépassée par ce contraste. Dans cette perspective, nous préférons très vite l’un à l’autre. Il n’est pas rare que ce jugement de valeur transforme le jeu en guerre. On se bat pour l’un, on se bat contre l’autre. Jeunes et vieux, femmes et hommes, riches et pauvres, malades et en bonne santé sont autant d’exemples qui montrent qu’il n’est pas si facile de considérer des principes de vie opposés comme équivalents. Et ce qui se présente comme un “jeu de la vie” peut rapidement se transformer en conflit.
La vie se déroule entre des pôles, évolue dans des dualités et est soumise à un mouvement permanent. La naissance et la mort interagissent constamment.
Pour notre espèce mortelle, l’homosapiens, qui a une conscience aiguë d’elle-même et donc de sa propre individualité, la vie dans ce champ de tensions est extrêmement exigeante.
Comment nous comportons-nous dans ce drame ? Où et comment nous livrons-nous à ce jeu ? Où nous défendons-nous ? Où faut-il du courage, de l’humilité, de la douceur, de l’arrogance, ou s’agit-il simplement de s’abandonner à la mélancolie?
Il est bon de savoir que la vie se déroule dans le jeu de grandes forces. Qu’il s’agit d’une dynamique. Nous pouvons parler de mouvement et de processus. – Il s’agit probablement avant tout de suivre le mouvement, d’accepter beaucoup de choses telles qu’elles sont et de ne pas imposer sa propre volonté. Hartmut Rosa parle dans ce contexte d’indisponibilité. La vie n’est pas quelque chose que nous pouvons décider. Elle nous est offerte. Dans le meilleur des cas, nous pouvons nous y engager et nous laisser toucher par elle … dans toutes ses contradictions. Rosa parle ici d’invocabilité. Il entend par là que nous sommes à l’écoute, touchables et ouverts. Nous entrons ainsi en dialogue avec la vie, en confrontation. On pourrait à nouveau parler de jeu ou de la danse. Si nous nous engageons dans la vie, nous pouvons être une réponse à ce cadeau avec notre propre vie. Cet engagement nous conduira certainement à des endroits où sommeillent des forces insoupçonnées.
L’une des clés de ce chemin réside certainement dans l’abandon. Je regarde attentivement, je me tourne vers ce que je rencontre et je le laisse se produire. – Il commence à pleuvoir. Je laisse tomber quelques gouttes sur ma peau et je perçois la sensation que cela me procure. Ce n’est qu’ensuite que je sors l’imperméable de mon sac à dos. – La tristesse monte en moi. Je constate que j’essaie de la repousser par l’action. Je m’arrête, laisse de la place à l’émotion et écoute ce qu’elle veut me dire. – Mon genou commence à me faire mal. Je renonce à mes projets, j’embrasse la douleur et je me laisse guider par elle.
La vie est vulnérable et c’est peut-être là que se cache un grand trésor. Du haut de l’Olympe, les dieux grecs regardaient les humains et enviaient leur finitude. Comme la vie éternelle doit être ennuyeuse ! Danser avec la peau et les cheveux (Mit Haut und Haar) dans ce jeu de la vie est sans doute la plus grande chose qu’il soit possible de vivre.
Auteur: Reto Bühler
Traduction: Romaine Bovier
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